LORENZ (K.)

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LORENZ KONRAD (1903-1989)

Le nom de Konrad Lorenz évoque l’image d’un naturaliste souriant, la tête à fleur d’eau entre deux oies cendrées. Ce mythe du «Père l’oie» se répandit après que le fondateur de l’éthologie comparative eut publié une série d’ouvrages dans lesquels il tentait d’appliquer les principes de l’éthologie à l’analyse des problèmes rencontrés par l’homme dans la société contemporaine. Cette volonté de soumettre la réalité humaine à l’examen de la biologie en vue de trouver une solution à nos drames séculaires n’est que la face visible d’une des personnalités les plus remarquables de l’époque.

Né à Vienne, Konrad Lorenz fit des études de médecine et de biologie. Il fut alors fasciné par les recherches d’Oskar Heinroth et de sa femme au jardin zoologique de Berlin. Observant les Anatidae (famille qui comprend les canards et les oies), il en était venu à reconnaître chez ces oiseaux, à côté des mouvements d’orientation, des mouvements expressifs qui se révélèrent être identiques chez tous les membres d’une même espèce. Aussi ces schèmes moteurs furent-ils considérés comme des caractères spécifiques héréditaires pouvant être utilisés comme des critères taxonomiques au même titre que les caractères morphologiques. Ces recherches des deux savants berlinois furent publiées de 1925 à 1933, en quatre volumes, sous le titre Die Vögel Mitteleuropas (Les Oiseaux de l’Europe centrale ), ouvrage fondamental qui devait donner une impulsion sans précédent à l’observation systématique des comportements innés de nombreuses formes animales. Dans une lettre à Heinroth, le jeune Lorenz lui exprime alors son enthousiasme: «Vous rendez-vous compte que vous êtes véritablement le fondateur d’une science, en l’occurrence de la psychologie animale comme branche de la biologie? [...] Votre livre a fait naître en moi de nombreux projets pour l’avenir.» Lorenz devait en effet donner sa forme définitive à la discipline dont il entrevoyait l’importance. Pour apprécier l’innovation que constituait l’éthologie à l’époque, il faut se rappeler que la psychologie animale, telle qu’elle s’était développée depuis Darwin (1859), avait été marquée par une curieuse contradiction interne. L’idée darwinienne de la continuité évolutive et l’inclusion de l’homme dans l’édifice transformiste avaient eu pour conséquence une floraison d’interprétations anthropomorphiques du psychisme animal. Ces analogies, en vertu desquelles on attribuait aux animaux des propriétés psychiques fondées sur l’introspection humaine (des volitions, des «sentiments », etc.), furent éliminées par le béhaviorisme, lequel, vers 1910, conquit la quasi-totalité du domaine de recherche consacré à la conduite animale. Il est à noter que c’est en 1910 également que parut la première étude de Heinroth sur l’éthologie et la psychologie des Anatidae («Beiträge zur Biologie, namentlich Ethologie und Psychologie des Anatidae», in Verh. Inter. Ornith. Kongr. , 1910). Mais, en dépit de leur rôle fondateur, ces premières recherches de Heinroth ne connurent pas le succès des travaux de J. B. Watson et de son école, dont la perspective d’ensemble est détaillée dans le manifeste de ce dernier («Psychology as the behaviorist views it», in Psychology Review , no 20, 1913).

Formé à la zoologie et expert précoce en l’observation des animaux, Lorenz fut toujours l’ennemi déclaré tant des vitalistes que des béhavioristes. Ce qu’il reprochait essentiellement aux seconds, c’était d’étudier le comportement animal dans la perspective exclusive de l’apprentissage, sans considération aucune pour les propriétés innées des espèces. En réalité, il est vain d’opposer l’inné à l’acquis, vu que l’un et l’autre interviennent à des degrés variables dans toute manifestation comportementale; la difficulté gît plutôt dans la conception restrictive des schémas expérimentaux utilisés par les béhavioristes. Dans de telles situations expérimentales, le caractère spontané des comportements n’a guère de possibilité de s’exprimer, en sorte que l’interprétation des résultats s’en trouve biaisée au départ. Dans l’éthologie de la première heure, essentiellement inspirée par les travaux de Lorenz et de ses premiers élèves (notamment Tinbergen, Baerends, Seitz), l’accent était au contraire mis sur la structure innée d’exécution des actes dans des situations naturelles. À la «physiologie du comportement», préconisée par les béhavioristes, s’opposait ce que Lorenz lui-même qualifiait d’«anatomie du comportement»: à ses yeux, il importait de décrire minutieusement toutes les conduites d’une espèce (ce relevé exhaustif constituant l’«éthogramme») plutôt que de définir au départ des variables comportementales dont la signification était avant tout dictée par les contraintes de méthodes que l’on voulait rigoureuses. Lorenz a mis en évidence les faiblesses des conceptions tant mécanistes que vitalistes dans un important article intitulé «The Comparative Method in Studying Innate Behaviour Patterns» (in Physiological Mechanisms in animal behaviour , Symp. Soc. Exp. Biol. , no 4, Cambridge Univ. Press, 1950). Il y soulignait aussi la nécessité de revenir à un mode d’observation de l’animal garantissant la possibilité de découvrir les conduites génétiquement fixées. L’œuvre considérable de Lorenz est le témoignage le plus sûr de l’adéquation et de la fécondité de ce point de vue. Son article «Le Compagnon dans la vie de l’oiseau» («Der Kumpan in der Umwelt des Vogels», in Journal für Ornithologie , 1935) fut, après les travaux de Heinroth, la contribution la plus marquante de la nouvelle science. Il y montrait, à partir d’observations nombreuses, le rôle des structures morphologiques et motrices spécifiques (qualifiées de «déclencheurs») dans la communication sociale chez les oiseaux. Il y notait aussi la complémentarité foncière des actions instinctives et des actions acquises par apprentissage (Instinkt-Dressur Verschränkung : entrelacement entre instinct et dressage). Cette œuvre fondatrice devait ouvrir la voie à de vastes développements théoriques ultérieurs et aboutir à la définition de concepts de base qui allaient modifier complètement la conception de l’action instinctive. Les concepts d’«action endogène», de «mécanisme inné de déclenchement» (M.I.D.), d’«activité de substitution», d’«empreinte» et beaucoup d’autres encore appartiennent désormais au vocabulaire courant de la science du comportement.

Comme on l’a dit plus haut, Lorenz a tenté d’appliquer les principes d’analyse de l’éthologie comparative au comportement de l’homme. Les développements très étendus de ce secteur de la biologie des conduites devaient naturellement mener à étudier l’origine biologique de la morale, ce que Heinroth lui-même avait déjà entrevu. Il ne fait aucun doute que l’éthique et l’institution ne peuvent être abordées sous le seul biais du langage et de l’histoire; la phylogénie des actes et des attitudes dans le contexte interindividuel constitue le fondement nécessaire de semblables analyses. Enfin, dans un ouvrage d’ensemble intitulé L’Envers du miroir (1973, trad. franç. 1975), Lorenz a abordé l’épistémologie en développant sa théorie moniste du «réalisme hypothétique» en vertu duquel l’homme ayant émergé de la nature comme tous les autres êtres vivants, son origine biologique fonde nécessairement l’adéquation de son mode de connaissance à la réalité naturelle de son environnement. L’œuvre du fondateur de l’éthologie exerce désormais une influence qui va au-delà de la biologie au sens strict. Elle représente, avec la génétique et la biologie moléculaire, l’une des synthèses majeures de la science contemporaine du vivant. En 1973, Konrad Lorenz s’était vu attribuer, conjointement avec Karl von Frisch et Nikolaas Tinbergen, le prix Nobel de physiologie et de médecine.

Son testament philosophico-politique, L’Homme en péril (1985), n’a pas éveillé beaucoup d’échos bien qu’il ait l’intérêt de mettre en parallèle l’évolution socio-économique en régime libéral et l’évolution des organismes en liaison avec un gain adaptatif découlant de l’élargissement de leurs capacités cognitives.

Il attachait pourtant à cette interprétation de l’évolution biologique et anthropologique une telle importance qu’il devait la reformuler dans trois autres ouvrages publiés en 1990 après sa mort: Évolution et modification du comportement ; L’Avenir est ouvert , entretien d’Altenberg; avec K. Mundl, Sauver l’espoir .

Encyclopédie Universelle. 2012.

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